Nous avons hésité pendant longtemps avant de nous décider à nous faire établir un permis de conduire cambodgien et à nous motoriser. Outre la circulation quelque peu chaotique, de la conduite assez créative qui s’observe au Cambodge, et la grande inventivité dont font part les conducteurs de véhicules à deux, trois ou quatre roues du pays, nous inquiétait aussi la réputation qu’a la maréchaussée locale de prendre la gent motorisée pour une source inépuisable de revenus confortables et renouvelés, de les considérer en quelque sorte comme des vaches à lait.
Malgré cela, prenant notre courage à deux mains, nous avons fait le grand saut : Madame en avait assez d’être à la merci du moindre chauffeur de tuktuk voulu, et pour ma part, je voulais acquérir une liberté de mouvement appréciable, et ménager un peu la moto de tel ou tel ami qui, lors de nos virées nocturnes, me prenait à l’arrière de sa monture. Madame s’est offert un joli 4×4 de dimensions modestes, tandis que pour ma part, je n’ai pas hésité à investir dans le tout dernier modèle d’un scooter vrombissant de 125 cc vendu à prix d’or par un célèbre constructeur japonais.
Je me voyais déjà être contraint de prendre à ma charge les salaires et primes diverses et variées de plusieurs agents de la force publique khmère, tandis que j’imaginais mon épouse tentant de faire entendre raison dans son anglais malhabile à l’un de ces cerbères de la route. C’est donc la « peur au ventre » que nous prîmes la route à partir du mois d’octobre 2012. Le temps est venu me semble-t-il de dresser un premier bilan.
Ma première interpellation eut lieu moins d’un moins après l’acquisition du 4×4 : nous avions en effet encore à l’époque une immatriculation provisoire. Alors que je circulais sur l’avenue Sihanouk et que j’avais pris à droite la rue 63, un cerbère en chemisette bleu clair sorti je ne sais d’où se planata juste devant mon véhicule, en me faisant signe de me ranger sur le côté. « Vos papiers », me fit-il comprendre d’une mimique sans équivoque. Il examina soigneusement mon permis de conduire, et vérifia que les informations portées sur la demande d’immatriculation correspondaient bien à celle de l’autocollant d’immatriculation provisoire apposé sur le pare-brise. Je savais que j’étais en règle, mais tâtais tout de même discrètement mon portefeuille, au cas où… À ma grand surprise, il me rendit mes documents, et me fit signe de poursuivre mon chemin, avec un sourire finalement bien sympathique.
Ma seconde interpellation eut lieu alors que je circulais en motocyclette. J’avais l’esprit tranquille, car j’avais sur moi tous les justificatifs à présenter obligatoirement, et je portais le casque obligatoire. Je me rangeai donc de bonne grâce à côté de la margelle du trottoir, en lançant un regard interrogateur à l’agent. Celui-ci pointa alors un index vengeur sur mon phare, en faisant une moue voulant dire que j’avais commis une faute grave : le phare en question était allumé ! Sachez qu’il est strictement interdit d’allumer la moindre ampoule véhiculée en plein jour, car c’est un privilège réservé aux véhicules des V.I.P. ! Faisant l’idiot, je le remerciai et me préparai à reprendre mon chemin, quand il me dit, avec un sourire goguenard : « Tu sais, au Cambodge, quand la police d’arrête, il faut payer ! » Soit ! Je sortis de mon portefeuille deux billets de 1 000 riels, que l’agent refusa d’un geste de la main en souriant : « On est trois ! », me dit-il en tournant la tête vers ses deux collègues qui avaient l’air de bien s’amuser au spectacle du Barang pris en faute. « 6.000 riels, alors ? » tentai-je. Il sourit, me fit oui de la tête, et empocha la somme.
Il y eut ensuite une série d’interpellations quotidiennes, pendant trois ou quatre jours de suite (une opération « coup de poing », sans doute), où toute la police de Phnom Penh s’était visiblement mise en devoir de vérifier la validité de mon permis. Étant à chaque fois en mesure de présenter ledit document, je fus à chaque fois libéré sans que la moindre contribution ne me fût demandée.
Ma deuxième interpellation « sérieuse » (et j’espère bien que ce sera la dernière), eut lieu un soir sur le boulevard Monivong. Ayant pris la mauvaise habitude de penser qu’un feu orange signifiait que l’on pouvait poursuivre son chemin sans encombre, j’avais grillé un feu orange qui, vis-je du coin de l’œil, vira au rouge alors que mes roues arrières étaient en train de passer la ligne marquant la limite devant laquelle s’arrêter. Manque de bol, quelques cerbères étaient postés un peu plus loin et m’intimèrent l’ordre de m’arrêter. Voyant que je parlais à peu près khmer, l’un de ces messieurs engagea la conversation sur un ton grave : « D’après le loin, je dois confisquer votre permis, et vous devez vous présenter demain au poste de police de… (il me donna une adresse inconnue), pour y faire établir le procès-verbal, vous acquitter du montant de l’amende, et récupérer votre permis ! », le tout débité sans la moindre once de chaleur dans la voix…. « Oh là, là, mais je sais pas où c’est, moi… Et puis demain, j’ai pas trop le temps… », tentai-je. Après une demi-seconde d’hésitation, mon interlocuteur me demanda : « Vous voulez faciliter les choses ? » (faciliter se dit en khmer « sâmruol » សំរួល, retenez ce mot, car il vous sera peut-être utile un jour). « Oui, oui, facilitons… »
Je m’en suis finalement sorti avec une « contribution aux bonnes œuvres de la police » d’un montant de 20 000 riels (cinq dollars). Madame était furieuse, mais j’étais pour ma part soulagé en pensant aux conséquences autrement plus néfastes qu’aurait eu ma négligence si j’avais été en France contrôlé par la maréchaussée gauloise !
Fort de ma (certes brève) expérience, même si le détournement à des fins personnelles des fonds soustraits aux automobilistes et cyclistes locaux, et même si je n’ai aucune sympathie particulière pour les agents de la force publique profitant de leur position, l’honnêteté me contraint à constater que, si « racket » il y a, il ne s’est jusqu’à ce jour jamais exercé sur moi sans motif. Espérons que cela dure !
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