La langue khmère telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui a intégré de très nombreux mots chinois, soit directement, sous l’influence des membres de la communauté chinoise du Cambodge, soit indirectement, par le biais d’autres langues étrangères, essentiellement le thaï et le vietnamien.
Parmi ces emprunts, on trouve une série de termes de parenté, qui sont utilisés, au sens propre, pour désigner des membres de sa famille, ou, au sens figuré, comme pronoms personnels, pour désigner des personnes de son entourage. En effet, comme c’est le cas lorsque l’on utilise les termes khmers បង (grand frère ou grande sœur), តា (grand-père) ou អូន (petit frère ou petite sœur), etc. l’utilisation de ces termes de parenté pour s’adresser aux personnes de son entourage permet en quelque sorte de réduire la distance entre personnes, de marquer une certaine intimité.
L’identification des appellatifs familiaux chinois en khmer, comme d’ailleurs l’identification des mots chinois en général, pose deux types de problèmes :
Premièrement, la prononciation d’origine utilisée pour transcrire les mots chinois en khmer n’est pas la prononciation du « putonghua » (普通话, qui signifie « langue commune », basé sur la prononciation du dialecte de Pékin, et qui est utilisé aujourd’hui en Chine comme prononciation officielle), mais, souvent, la prononciation dans les différents « dialectes » (certains préfèrent l’appellation de « langues régionales ») à partir desquels les mots chinois ont été empruntés : teochew, hainanais, cantonais, etc. Le second problème est que les mots utilisés dans ces « dialectes » diffèrent souvent des mots utilisés en putonghua. Par exemple, en putonghua, « sauce de soja » se dit 酱油 (prononcé [jiàngyóu] ; or, le mot khmer utilisé pour désigner la sauce de soja est ទឹកស៊ីអ៊ីវ, dont la prononciation ne peut en rien être rattachée au mot chinois en putonghua. Pour reconnaître l’origine chinoise du mot ស៊ីអ៊ីវ, il faut savoir qu’en teochew, sauce de soja se dit 豉油, prononcé [chíyóu] en mandarin (on est déjà plus près du mot khmer), ce qui se prononce en teochew [si7 iu5], ce qui est très proche de la prononciation cambodgienne. (Si vous pouvez saisir les caractères chinois, je vous recommande le site « Dictionnaire audio des langues régionales chinoise » 汉语方言发音词典, qui donne la prononciation des sinogrammes et de certains mots en : mandarin (putonghua), cantonais, min du Sud, teochew, dialecte de Suzhou, dialecte de Shanghai, hakka, etc. La page d’accueil de ce site est ici.)
Mais revenons-en à nos appellatifs familiaux. Je vous donne ci-dessous la liste, dans l’ordre alphabétique, de ces appellatifs, avec les caractères chinois qui correspondent (la prononciation indiquée pour les caractères chinois est celle du mandarin) (la liste et les définitions viennent de La Grammaire du Khmer moderne, paragraphe 506, page 291) du professeur Khin Sok ; c’est moi qui ai identifié les sinogrammes correspondants) :
កុង (公 [gōng]), équivalent du khmer តា, s’emploie pour s’adresser à une homme âgé de la génération de son grand-père ;
ចិក (叔 [shū]) (le professeur Khin Sok donne l’orthographe ចឹក, mais le dictionnaire de Chuon Nath donne ចិក), équivalent du khmer ពូ, s’emploie pour s’adresser à un homme présumé plus ou moins âgé que ses parents (en chinois, ce sinogramme désigne stricto sensu un oncle paternel plus jeune que le père, mais s’utilise aussi dans la vie courante pour s’adresser à un homme plus jeune que le père) ;
ចែ (姐 [jiě]), équivalent de បង(ស្រី), s’emploie pour s’adresser à une femme plus ou parfois moins âgée que soi ;
ម៉ា (嬷 [mó], équivalent de យាយ, s’emploie pour s’adresser à une femme âgée de la génération de sa grand-mère (en chinois, ce mot est considéré comme dialectal) ;
ហ៊ា (兄 [xiōng]), équivalent de បង(ប្រុស), s’emploie pour s’adresser à un homme plus âgé que soi ;
អ៊ី (姨 [yí), équivalent de មីង, s’emploie pour s’adresser à une femme présumée plus ou moins âgée que ses parents.
En plus des termes donnés par le professeur Khin Sok, j’ai trouvé, notamment dans Les mots d’emprunt étrangers et les caractéristiques distinctives des mots palis-sanskrits en khmer de Kun Sokheng (voir ici) d’autres termes de parenté d’origine chinoise utilisés en khmer :
កូវ (姑 [gū]) tante ;
គិម (妗 [jìn]) tante (épouse de l’oncle maternel) (notons que ce mot n’est généralement pas utilisé en mandarin) ;
គូ (舅 [jiù]) oncle maternel
ទា (爹 [diē]) papa, père
ទ្រា (je n’ai pas réussi à identifier avec certitude le sinogramme d’origine, peut-être s’agit-il aussi de 叔 [shū], comme pour le mot ចិក) oncle plus jeune (du côté paternel ou maternel) ;
និង (je n’ai pas réussi à identifier le sinogramme d’origine) beau-frère.
Il existe probablement d’autres termes de parenté d’origine chinoise utilisés en khmer, mais vous avez ci-dessus tous les mots que j’ai notés à ce jour.
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Méta
Bonjour Pascal, plusieurs années après la publication de ce blog très intéressant, j’ai peut-être la réponse (obligeamment fournie par des Chinois) pour deux termes : និង ឬ នឹង viendrait de 郎 nɯ̂ŋ « mari de la sœur aîné » en teochiu. ទ្រា « mari de la tante cadette ou de la tante aînée paternelle comme maternelle » vient du teochiu 丈 tiẽ̄ …