Histoire : Des soldats chinois dans l’armée de Jayavarman VII

(Je reprends ici, en l’adaptant quelque peu pour les besoins de Khmerologie, un article que Le Petit Journal du Cambodge m’a fait l’honneur de publier le 10 octobre 2017, voir ici.)
Dans la partie méridionale de la galerie extérieure du Bayon(1), le fameux temple construit dans Angkor Thom(2) à l’époque de Jayavarman VII(3), se trouve un bas-relief s’étendant sur deux panneaux, représentant une bataille de l’armée khmère contre les Chams, qui avaient envahi le Cambodge angkorien en 1177. En 1178, celui qui allait devenir l’un des rois khmers les plus célèbres leva une armée et se mit en devoir d’expulser l’envahisseur. Cette action héroïque lui permit de monter sur le trône de Moha Nokor(4) (le nom par lequel le Cambodge était désigné à l’époque) en 1181, à l’âge de 56 ans.
D’après les spécialistes, si l’on observe attentivement le bas-relief évoqué ci-dessus, on remarque parmi les troupes khmères la présence d’officiers et de soldats portant un uniforme différent de celui des soldats locaux. Certains hommes sont en outre montés à dos de cheval, ce qui est inédit dans le Cambodge de l’époque, car la monture de prédilection des rois et des officiers supérieurs khmers était l’éléphant de combat(5). Ces soldats mystérieux seraient en réalité des mercenaires chinois.
Comment se fait-il que des soldats chinois aient pu être engagés aux côtés des troupes de Jayavarman VII pour se battre contre les Chams ? Il faut aller chercher la réponse dans l’histoire de la Chine à la même époque.
En Chine, depuis le début du XIIº siècle, la dynastie des Song(6) du Sud subit les assauts de diverses peuplades du Nord, dont ceux des Mongols(7), dont la cavalerie(8) sème la terreur dans les steppes d’Asie orientale. Les Song finissent par être renversés, et les Mongols mettent en place la dynastie des Yuan en 1271. Il est plus que probable que des unités de l’armée des Song, en déroute ou découragées, se soient déplacées vers le Sud, pour échapper aux hordes barbares, connues pour leur férocité, et pour aller chercher fortune ailleurs.
Des unités chinoises, transformées ainsi en troupes de mercenaires, ont très certainement été recrutées par les Khmers pour les aider à chasser de leur territoire l’envahisseur Cham.
D’après des spécialistes de l’histoire militaire d’Angkor, ce sont les soldats chinois qui ont introduit dans les armées khmères l’innovation de la cavalerie à cheval. Avant Jayavarman VII, les rois khmers étaient en effet montés sur des éléphants, et ce n’est qu’à partir de cette époque que l’on voit apparaître des souverains cambodgiens à dos de cheval. Dans le même temps, certains officiers chinois auraient appris de leur côté à manier les éléphants de combat, inconnus en Chine.
Ci-dessous, un fragment de bas-relief montrant un Khmer monté sur un cheval.
(L’essentiel des informations utilisées pour ce billet, ainsi que la photo du bas-relief, viennent d’un article publié par le quotidien cambodgien Koh Santepheap en mars 2017, voir ici.)
Notes :
(1) Bayon : ប្រាសាទបាយ័ន. Attention : បាយ័ន se prononce en réalité [ba yoǎn].
(2) Angkor Thom : អង្គរធំ.
(3) Jayavarman VII :  ជ័យវរ្ម័នទី៧.
(4) Moha Nokor : មហានគរ. C’est souvent ce terme qui est employé dans les romans historiques qui portent sur cette époque.
(5) Éléphants de combat : ដំរីចម្បាំង. ចម្បាំង, que certains orthographient ចំបាំង est dérivé de ច្បាំង (se battre, combattre), et signifie « combat, guerre ».
(6) Dynastie des Song : រាជវង្សសុង. រាជវង្ស [reach vungsa:] signifie « famille (វង្ស) royale (រាជ) ». C’est ce mot qui est utilisé pour parler des « dynasties ». សុង est bien entendu la transcription phonétique du chinois Song (宋 [sòng]). Voici les noms en khmer de quelques autres dynasties chinoises, parmi les plus connues : ហាន់ Han (汉 [hàn]), ថាង Tang (唐 [táng]), យ័ន ou យាន Yuan (元 [yuán]), មីង ou មិញ Ming (明 [míng], ឈីង Qing (清 [qīng]).
(7) Mongols : ម៉ុងហ្គោល. En khmer, la Mongolie  est appelée ម៉ុងហ្គោលី.
(8) Cavalerie : កងទ័ពសេះ. Le mot ទ័ព [toǎp] désigne de façon générique l’armée. Les trois armées, au sens moderne du terme, sont appelées en khmer ទ័ពជើងគោក [toap chheung kôk] Armée de Terre (គោក [kôk] désigne la terre ferme), ទ័ពជើងទឹក Marine (ទឹក [teǔk] signifie « eau »), ទ័ពជើងអាកាស Armée de l’Air (អាកាស [akah]) signifie « air »). Pour les différentes « armes » de l’Armée de Terre, on utilise le mot កងទ័ព [kâng toǎp], comme dans កងទ័ពសេះ cavalerie (សេះ [séh] signifie « cheval ») ; pour « l’arme blindée cavalerie » de l’époque contemporaine, on parle plutôt de កងទ័ពរថក្រោះ (រថ [rât] véhicule, ក្រោះ [krâh] blindé) ; l’infanterie est appelée កងទ័ពថ្មើរជើង [ថ្មើរ [thmae] : marcheur].

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