Vocabulaire : Les couleurs des ailes de perruche et de l’urine bovine

Le vocabulaire des couleurs en khmer est très riche. Il y a bien sûr les couleurs les plus courantes : ខ្មៅ [khmav] noir ; ស [sâ] blanc ; លឿង [lœueng] jaune ; ក្រហម  [krâ-hâm] rouge. Cela se complique un peu pour le bleu et le vert, car, comme en chinois, un seul mot était traditionnellement utilisé pour les couleurs de la portion de l’échelle chromatique qui s’étend du bleu au vert : ខៀវ [khiav], qui, selon les cas, peut donc se traduire par bleu ou vert (en chinois, c’est aussi le cas pour le mot 青 [qīng]). Certes, aujourd’hui, on a tendance à penser que le mot ខៀវ désigne la couleur bleue, mais pour bien faire la différence entre le bleu et le vert, les Khmers ont emprunté aux Siamois le mot បៃតង [baï-tang] pour désigner la couleur verte, et ont inventé le mot ពណ៍ទឹកប៊ិច [poa teuk-bich] (littéralement : couleur d’encre de stylo Bic) pour désigner la couleur bleue.
Il existe aussi des noms de couleur inspirés par l’observation de l’environnement ; par exemple, l’orange est la couleur du jus d’orange (ពណ៍ទឹកក្រូច [poa teuk kroch]), le gris est celle de la cendre (ពណ៍ប្រផេះ [poa prâ-phèh]), le bleu marine celle du bleu de la mer (ខៀវ​សមុទ្រ [khiev samot]), l’azur celle du ciel (ពណ៍​ផ្ទៃ​មេឃ [poa phteï-mék), etc.
Dans le roman Orange Blossom de Bunchan Sokserei, j’ai découvert deux noms de couleurs dont j’ignorais l’existence. Le premier se trouve page 204 et sert à décrire la couleur des rizières dans lesquelles passe un cortège funéraire : ស្រែខ្លះមានពណ៍​ខៀវ​ស្រងាត់ ស្រែ​ខ្លាះ​មាន​ពណ៍​ស្លាប​សេក ស្រែ​ខ្លះ​មាន​ពណ៍​លឿង​ខ្ចី : Certaines rizières avaient une couleur vert foncé (ខៀវ​ស្រងាត់ [khiev srâ-gat], remarquez ici l’utilisation du mot ខៀវ pour désigner le vert), d’autres la couleur des ailes de perruche (ស្លាបសេក [slab sek]), d’autres encore avaient une couleur jaune clair (លឿង​ខ្ចី [loeueng-khchei]). Le vert foncé et le jaune sont faciles à comprendre, la couleur « ailes de perruche », en revanche, l’est moins. Il s’agit d’une couleur proche de celle des ailes des perruches ci-dessous (Photographie : Karthik Easvur, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons), peut-être un peu plus claire :

A la page 220 de ce même ouvrage, la romancière décrit la couleur du sucre de palme en fin de cuisson :
ទឹក​ត្នោត​បាន​ប្រែ​ពីរាវ​និង​ពណ៍​ស​ភ្លាវ​ មក​ជា​ខាប់​ពណ៍​រាងក្រហម​ប្រឿងៗ (ដែលអ្នកស្រុក​គេ​ហៅ​ថា​ពណ៍​ទឹក​នោម​គោ) : La sève du palmier à sucre, de liquide et de couleur blanchâtre (ស​ភ្លាវ [sâ phliev]), avait pris une consistance épaisse et une couleur rouge clair (ក្រហម​ប្រឿងៗ [krâ-hâm proeueng-proeueng]) (que certains villageois appellent couleur d’urine de bovin – ពណ៍​ទឹក​នោម​គោ [poa teuk nôm kô]).
La couleur de l’urine des bovins est variable selon l’animal, mais l’urine illustrée ci-dessous a une couleur proche de celle du sucre de palme en fin de cuisson (la photo vient d’une page web d’un site consacré à la médecine indienne, qui présente les effets thérapeutiques de l’urine de vache, ici)  :

Je ne doute pas de découvrir dans d’autres lectures d’autres descriptions « exotiques » des couleurs, je vous en ferai profiter…

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4 commentaires pour Vocabulaire : Les couleurs des ailes de perruche et de l’urine bovine

  1. henri copin dit :

    Bonjour et merci pour ces savants et savoureux articles sur les merveilles de la langue et de la culture des Khmers !

    La lecture de celui ci sur le vocabulaire des couleurs me rappelle les écrits de George Groslier – que j’ai préfacés pour l’édition américaine de Kent Davis chez DatAsia.

    Groslier est peintre de formation, et écrit avec une sensibilité forte aux couleurs.

    Dans La route du Plus fort, il parle de la praepôn Vetanéa comme de la « belle fille à l’écharpe couleur graisse de crabe »

    Ailleurs ds ce roman il écrit « nœuds du gingembre, fleurs de nénuphar, marrons de Chine, chair effilochée de poisson sec, haricots germés pareils à des agglomérats de larves, écheveaux de vermicelle transparent, piles de petites jarres pleines de sauces fermentées, pots de chaux rouge comme une pâte de corail, tabac noir, rangées régulières de feuilles de bétel aux formes d’as de pique, arachides, safran brun… ». Groslier le peintre ne saurait résister aux couleurs et aux formes, allant jusqu’à peindre « les tas d’ordures presqu’aussi beaux que les éventaires […] qui se désagrégeaient avant de pourrir, avec une coquetterie brillante ».

    De même Eaux et lumières fourmille de notations subtiles sur les couleurs.

    Merci encore pour vos belles chroniques ! Henri Copin Université Permanente Nantes

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  2. HU So dit :

    Passionnant : Le langage khmer écrit est vraiment très imagé et celà me rappelle celui des animaux dont les noms s’appuient sur le son de leurs cris.

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  4. donardjj dit :

    En français, les couleurs anciennes de merde d’oye, de merde d’enfant, de singe mourant, de constipé, de trépassé revenu, de faute de pisser, etc. n’étaient pas mal non plus ! 😉

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