Divers : Qui était Zhou Daguan ?

(Remarque préliminaire : Zhou Daguan est la même personne que Tcheou Ta-Kuan. Les deux orthographes correspondent simplement à deux systèmes de transcription différents du chinois, en l’occurrence du nom 周达观. Avec la méthode de transcription la plus courante sur le plan international, c’est l’orthographe Zhou Daguan qui prévaut.)
En lisant un article de Duan Lisheng (段立生), professeur à l’Institut de recherches sur l’Asie du Sud-Est de l’Université Sun Yat-sen de Canton (广州中山大学东南亚研究所), et donnant quelques commentaires complémentaires pour une édition annotée des Mémoires sur les coutumes du Cambodge de Zhou Daguan (nous avions ici parlé de la traduction française partiellement annotée réalisée par Paul Pelliot), je découvre quelques informations intéressantes concernant l’auteur de ce récit unique d’un séjour d’un an au Cambodge à la fin du XIIIe siècle. Je vous livre ici les informations que je retire de cet article, concernant l’auteur de ces Mémoires.
Zhou Daguan était originaire de la ville de Wenzhou, dans la province du Zhejiang, sur la côte orientale de la Chine. Notons, ce n’est pas anodin, que cette ville est connue pour le dynamisme et le caractère aventureux de ses marchands, qui s’expatrient volontiers et sont présents non seulement dans toute la Chine, mais aussi dans le monde entier. (À Paris par exemple, ils sont nombreux et particulièrement actifs dans les secteurs de la confection et de la maroquinerie.) Il fut ordonné à Zhou d’accompagner (le verbe « accompagner » a son importance) l’ambassade impériale qui quitta la Chine en 1295 et arriva au Cambodge en 1296.
On ne sait pas grand-chose de la famille dont il était issu, mais c’était probablement une famille aisée, puisqu’un texte chinois ancien dit que Zhou Daguan fréquentait assidûment la bibliothèque familiale (à cette époque, seules les familles aisées pouvaient disposer d’une bibliothèque), et ce sont ses lectures qui lui auraient donné son goût des voyages.
On ne connaît pas sa date de naissance, on ne sait donc pas quel âge il avait exactement à l’époque de l’ambassade. Cependant, un poème qui fut rédigé en son honneur par Wu Qiuyuan (吾邱衍), qui vécut à peu près à la même époque, précise qu’au moment de l’ambassade, il était « à la fleur de l’âge » (ou « dans la force de l’âge », selon la traduction que l’on adopte). Le poète utilise ici le mot 壮年 [zhuàngnián], qui s’applique spécifiquement, en chinois classique, aux personnes âgées de trente ans environ, ou de trente à trente-cinq/quarante ans. L’auteur de l’article, le docteur Duan Lisheng, en conclut que Zhou Dagun a dû naître vers 1266. Cela me semble un peu trop précis : je dirais que Zhou est né grosso-modo entre vers 1260, à cinq ou six ans près. Quant à la date de son décès, on ne la connaît pas précisément. On sait seulement qu’il a rédigé en 1346 la préface d’un ouvrage de Lin Kun. Il devait avoir alors près de 80 ans et il est probable qu’il soit décédé peu après cette date.
Quant à savoir quelle était la fonction de Zhou Daguan au sein de l’ambassade chinoise, là aussi, on ne peut que faire des suppositions. Les chercheurs sont à peu près certains qu’il n’était pas fonctionnaire impériale (« mandarin »), car son nom n’apparaît dans aucun des registres officiels, qui étaient fort bien tenus.
Duan Lisheng s’appuie une fois de plus sur un poème de Wu Qiuyan, poème dans lequel il est dit que Zhou avait pour fonction de traduire la « langue des tourterelles » (le texte chinois dit exactement 鸠舌劳重译). Or, en chinois classique, le mot que je traduis ici de façon très littérale par « langue des tourterelles » (鸠舌 [jiūshé]) désignait de façon générique les langues des « barbares », considérées comme incompréhensibles (il est intéressant de noter qu’aujourd’hui, en chinois moderne, on parle de « langue des oiseaux » 鸟语 [niǎoyǔ], pour désigner une langue étrangère à laquelle on ne comprend rien). Dans le poème de Wu Qiuyan, la « langue des tourterelles » désignerait donc en fait la langue khmère, et c’est à titre d’interprète que Zhou Daguan aurait été intégré à l’ambassade !
Cette conclusion me semble à première vue tout à fait extraordinaire. Duan Lisheng émet l’hypothèse que Zhou Daguan aurait appris la langue khmère auprès de marchands ou de marins navigant à bord des bateaux étrangers qui, à l’époque accostaient en grand nombre à Yongjia (永嘉), district où était situé le port de Wenzhou (la famille de Zhou Daguan était originaire de Yongjia).
Cette hypothèse est intéressante, mais elle me semble peu plausible. Je sais par expérience que l’apprentissage d’une langue vivante, même de ses rudiments, nécessite des contacts fréquents et prolongés avec d’autres personnes parlant la langue, et même si l’on peut imaginer que des marins khmers ou des étrangers ayant vécu au Cambodge aient pu faire escale à Wenzhou, je doute fort que cela ait été suffisant pour enseigner les rudiments de la langue khmère à Zhou Daguan. Il a tout au plus pu apprendre quelques mots de khmer.
À l’occasion de la découverte, un peu par hasard, de l’article de Duan Lisheng, je me suis rendu compte que nombreux sont les chercheurs chinois qui se sont intéressés au Cambodge. J’ai déjà récupéré quelques articles intéressants, qui nous réservent quelques surprises.
(Pour ceux que cela intéresserait, les références de l’article cité ici sont les suivantes :
Duan Lisheng (段立生), Zhengla fengtuji jiaozhu zhi buzhu (《真腊风土记校注》之补注) (Notes complémentaires sur l’Édition Annotée des Mémoires sur les coutumes du Cambodge), in World History (世界历史), 2002(2) (cet article peut être téléchargé sur le site Wanfang Data)

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Un commentaire pour Divers : Qui était Zhou Daguan ?

  1. Excellent article. Enfin un peu de lumière sur Zhou Daguan. L’hypothèse selon laquelle il aurait appris la langue khmère auprès de marins khmers est effectivement peu plausible car, outre le fait que l’apprentissage d’une langue requiert des contacts proplongés, les Khmers n’ont jamais brillé par leurs qualités de marins

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